The Chris Chester Group : Bubble Man Superstar!!!
Chris Chester Records Ltd
A une vitesse étourdissante, le rock anglais des sixties est passé de l’exploration des champs de coton à celle de la Voie Lactée – fin 1967, le blues devient spatial. Quand le Pink Floyd joue à l’UFO, la musique autrefois inventée par Robert Johnson ou Skip James échappe à l’attraction terrestre. Et Tottenham Court Road se prolonge jusqu’aux plus lointains espaces interstellaires. Mais pendant que le Melody Maker scrute l’azur, l’underground londonien abrite de bien étranges conjonctions d’astres. Soit une rencontre secrète, dans un club de Leicester Square ou King’s Road.
Effondré devant une table, un guitariste émacié tue le temps, entre comparutions au tribunal et escapades à Rome, où sa fiancée joue dans le Barbarella de Roger Vadim. A sa droite, un poète américain, rescapé d’un accident de moto et fraîchement évadé de Woodstock, où il enregistre en compagnie de Canadiens au look plouc des Basement Tapes vouées à faire le bonheur des bootleggers.
Survient un dandy de Cambridge, qui avec Arnold Layne vient de propulser dans les charts une invraisemblable histoire de voleur de petites culottes. Du fond d’une bouteille de champagne, une idée jaillit : pourquoi ne pas enregistrer quelques chansons aussi fantasques que ces bulles dorées?
Le concept Bubble Man est né.
Aux petites heures de l’aube, une Bentley bleu nuit vogue alors jusqu’aux studios Olympic, réservés pour les sessions de Their Satanic Majesties’ Request. On a besoin d’un organiste? Un coup de fil, et Al Kooper rapplique – gagnant au passage son ticket d’entrée pour You Can’t Always Get What You Want. Puis les compos défilent, féerique florilège de pop cosmique et de ballades groovy. D’entrée, l’homme le plus élégamment déglingué de la planète rock prend les commandes : reconnaissable entre toutes, sa guitare donne le tempo. Parfois, il sarcle d’instinct d’antiques racines – Chuck Berry reprend du service pour l’intro de Born To Be A Star; sur Cosmic Blues Muddy Waters s’offre sa petite odyssée de l’espace. Puis, avec Champagne, l’Américain à lunettes noires se fend d’un outttake inédit de Blonde On Blonde, tandis que le troisième larron, bien barré à l’acide, fait planer très haut White Sun. Cerise sur ce gâteau en forme d’Olympe psychédélique, une version inconnue de Two Thousand Light Years From Home, où la voix de Mick Jagger laisse la place à celle de son frère ennemi, autrefois rencontré sur un quai de gare de Dartford – une voix effectivement à quelques milliers d’années lumières des normes habituelles en matière d’harmonie.
Quarante ans plus tard, le produit de cette super session clandestine sort sous un pseudonyme en forme de malicieuse contraction lexicale : en anglais, un chest est le genre de coffre où les pirates d’antan entassaient le fruit de leur rapines, tandis qu’un jester est un bouffon du roi – sous sa pochette pop art, le disque du Chris Chester Group tient effectivement de la plaisanterie princière autant que du trésor caché. Autant dire qu’à ce degré d’élégance envapée, on tient pour nulle et non avenue la mesquine rumeur voulant que Bubble Man Superstar!!! soit en fait l’œuvre d’un combo clermontois – une rumeur que seuls croiront ceux qui pensent encore que les Billion Dollar Sessions furent enregistrées à la va-vite par Dick Rivers et une paire de potes en santiags made in le Sentier…
Bruno Juffin - Les Inrocks
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